la religion des Basques à l'époque romaine

Publié le par picozuri.over-blog.com

 QUE SAVONS-NOUS SUR LA RELIGION DES BASQUES?  

 

 On connaît très mal leur religion avant le christianisme. Nous avons déjà dit qu'ils n'avaient pas été insensibles aux cultes de leurs vainqueurs romains. Ceux-ci possédaient d'ailleurs une minorité de divinités proprement romaines. Certains cultes orientaux ont même trouvé des adeptes au Pays Basque. En même temps, nous avons vu que des autels ont été érigés en faveur de divinités locales. Nous connaissons Ilurberrixus, Herauscorritsehe (à Tardets, sans doute une montagne divinisée appelée d'abord Aranhe) et Lacubegus. Ce dernier nom ne paraît pas basque. D'après l'inscription d'un autel, ce serait une divinité aquatique. En effet, "lako" veut dire en basque canal, mais le mot pourrait dériver du latin lacus. De même, Lois, qui a donné Donibane Lohizune (St-Jean-de- Luz), était un génie d'un lieu marécageux attesté au IIIème siècle. 

 

   Ilurberrixus Anderexus est présent sur les deux versants pyrénéens jusqu'au Val d'Aran. Son nom veut dire "la nouvelle aubépine" (illurberri) et anderexus signifie fleurie. Certains en ont conclu à un culte des arbres, mais de là à affirmer que les dieux-arbres étaient adorés chez les Basques, c'est une autre affaire.  Certaines de ces divinités sont donc indo-européennes, comme Lucubegi, mais elles auraient peu ébranlé les croyances. On peut imaginer  les Basques continuer à adorer la terre (Mari est la plus vénérée), les grottes et les gouffres. Une pierre qui se trouve aujourd'hui au Musée archéologique de Vitoria représente une lamina entourée de deux jeunes naïfs prétendants. Une citation de l'Histoire Auguste (fin du IVème siècle) présente Alexandre Sèvère (empereur de 222 à 235) plus versé dans les haruspices (divinisation) que les Vascons d'Espagne, apparemment une référence dans ce domaine.  

 

   Ce sont les routes les plus sillonnés par les marchands et les soldats qui ont fourni la majorité des cultes locaux. L'épigraphie, la sculpture ont redonné vie à ces divinités traditionnelle. Le sanctuaire peut être en retrait par rapport à la route, près d'une source souvent.  

 

 A QUAND REMONTE L'ORIGINE DU CHRISTIANISME CHEZ LES BASQUES?   

 

  Les sources évoquent en 306 un certain Januarius, évêque de Calagurris, assistant au concile d'Elvira près de Grenade. Mais il pourrait s'agir d'un Calagurris en Aragon (l'antique Loarre). Le témoignage suivant vient du poète chrétien Prudence (Aurelius Prudentus Clemens), né probablement à Calagurris (celle de la Rioja), en 348 (mort vers 410). Son Hymne I aux martyrs, écrit vers 400, le plus ancien d'Espagne, célèbre deux soldats chrétiens (l'armée a été un vecteur décisif de propagation du christianisme, car elle gommait les frontières ethniques), Emeterius et Celidonius, premiers martyrs de la vallée de l'Ebre (morts à Calahorra et futurs patrons de la ville) sous Dèce (249-251) ou Dioclétien (284-305). N'ayant trouvé aucune trace des martyrs dans sa ville, il en attribuera la responsabilité aux Romains qui auraient effacé tout témoignage. Leur culte s'imposera d'ailleurs difficilement en Espagne.

 

 Grégoire de Tours (539-594) s'est beaucoup inspiré de Prudence pour écrire son oeuvre. Il est possible que ce dernier soit né dans une famille chrétienne, car il n'y a pas de relation de sa conversion. Cette présence d'une communauté chrétienne à Calagurris est confirmée par un hymne du même auteur dédié à Valerianus, le premier évêque de cette ville. Si l'on en croit Prudence, la Rioja a pu être le premier diocèse du Pays Basque dès le IIIème siècle donc.   

 

 D'un bon rang social, Prudence étudia le droit et fit brillamment carrière dans l'administration impériale. Il fut gouverneur à deux reprises, fut peut-être nommé comte par Honorius (395-423). Auparavant, il s'était heurté à un Sénat peut-être encore païen, à l'empereur Valentinien II (375-392) et au préfet de Rome Symmachus au sujet de la tolérance à considérer vis-à-vis des païens à laquelle Prudence était défavorable (Contra Symmachus en 384). Il revint en grâce à la cour de Théodose (379-395). Mais peu après la mort de Symmachus vers 404 (ses héritiers restaient influents et défendaient sa mémoire), il considéra à 56 ans sa carrière politique médiocre et se retira de la vie publique en se réfugiant dans la poésie lyrique. S'il ne parlait vraisemblablement pas le basque, il connaissait bien la région. Dans l'Hymne à saint Laurent, il désigne l'Ebre par le terme Vasco Hiberus ("l'Ebre basque"). Dans trois vers de l'Hymne I, il dénonce les Vascons d'autrefois grossiers, cruels et sanguinaires. Peut-être est-ce une allusion aux Bagaudes, ou simplement reprend-il l'antique opposition barbare-romain. Le terme de "gentils" (païens) qu'il leur attribue a en tout cas une connotation culturelle. Mais à son époque, il les considère convertis.    

 

 Sa poésie était de qualité, les sujets et la forme littéraire très riches. La poésie chrétienne avant lui avait été peu prisée. Il est aussi l'auteur d'écrits théologiques contre les hérétiques (ceux qui déviaient de la foi). Sa doctrine religieuse et sa technique poétique mûrirent probablement à Calahorra. Prudence apporta beaucoup au christianisme, mais dut illuminer très peu la pensée des Basques, même si on s'en tient uniquement aux plaines. Car entre la baie de Biscaye, Pampelune et l'Adour, il n'y a aucune preuve d'existence du christianisme pour le IVème siècle. Les institutions monastiques et les diocèses sont très tardifs.    

 

 Ausone (vers 309-394), un Aquitain plus qu'un Gascon, moins lyrique que Prudence, va dans le même sens: il parle de "gens barbara", comme on l'a vu en se réclamant de la même culture latine, classique et chrétienne. Il délimite ce peuple avec l'Adour. Incontestablement, le "saltus" (zones non cultivées) indigène semble connaître un retour à d'anciennes pratiques cultuelles sur lesquelles nous ne savons presque rien. Nous en avions parlé au sujet d'Arteka-Campaita à Uhart-Cize.   

  

 En dehors de ces éléments, il n'y a qu'un fatras de légendes au sujet du début du christianisme en terre basque. Le mythe veut que Fermin soit le grand missionnaire de la capitale navarraise. Mais le culte de Fermin (ou Sernin) n'est attesté par les chroniqueurs qu'à partir du XIème siècle, ce qui suppose une introduction tardive dans la cité.  Ce Firminus, fils d'un sénateur local (Fermus) de Pampelune, sera converti comme son père par un prêtre nommé Honestus qui aurait baptisé au total 40 000 personnes (sic). Mais la cité réclamait l'évêque de Toulouse Saturnin (qui est souvent confondu avec Fermin) qui fut le premier évangélisateur du Pays Basque. Il est qualifié de Jondoni dans les Acta Sanctorum, titre uniquement accordé aux premiers saints de l'Eglise (Jean-Baptiste, Pierre, Paul, Jean, Etienne, Laurent, Martin, Fructueux [1]). Firmin, lui, passe pour avoir été le premier évêque de pampelune dès le Ier siècle (!) après avoir été ordonné à Toulouse par Saturnin. Il le retrouvera sur les bords de la Garonne et sera plus probablement le premier évêque d'Amiens et dut être martyrisé (comme Honestus et Saturnin d'ailleurs) sous Dèce vers 250 ou sous Dioclétien et Maximin vers 303. Firmin est aussi le saint patron de Calahorra, cité qui possède aussi, nous l'avons dit, le culte des martyrs rédigé par Prudence.  

 

 Le Vème siècle présente un dossier historique plus étayé. Une correspondance échangée entre les évêques de la Tarraconaise (province du Nord et de l'Est de l'Espagne) et le pape, au sujet d'une question de discipline ecclésiastique concernant un évêque, met bien en évidence une présence de communautés chrétiennes à Cascante (Navarre), Calahorra, Tricio (Tritium en latin) à l'Ouest de Bilbao et sur la rive droite de l'Ebre (Alfaro dans la Rioja). L'épigraphie a relevé des épitaphes du Vème siècle à Tricio et Alfaro.     

 

 Mais les sources n'évoquent pas du tout l'Alava, la Biscaye et le Guipuzcoa (les provinces Vascongadas). L'archéologie s'est penchée particulièrement sur les motifs cruciformes de certaines stèles (pierres dressées et lisses couvertes généralement d'inscriptions) de Biscaye et Guipuzcoa. Mais ces représentations sont-elles chrétiennes ou émanent-elles de la culture traditionnelle pré-chrétienne? La stèle d'Arrigorriaga (en Biscaye), réputée pour contenir des chrismes (symbole chrétien assemblant les lettres X et P, les deux premières lettres du Christ en grec) du IVème et Vème siècle serait de l'époque wisigothique (VIème siècle). Les motifs cruciformes d'Elorriaga, de Berreaga (Biscaye), ne sont plus considérés aujourd'hui comme des vestiges chrétiens. En réalité, il y a très peu d'éléments qui penchent en faveur de représentations chrétiennes avant l'ère des invasions barbares. Le constat est le même pour le Guipuzcoa.   

 

 Le seul élément certain est que les Basques échappèrent au schisme donatiste condamné par le concile d'Arles en 314. Aucun évêque de Novempopulanie ne s'y rendit. Seul celui d'Eauze était hérétique.  

 

  On peut conclure sur tout ceci que les Basques se sont peut-être convertis aux IV-Vème siècle au christianisme en même temps que l'Espagne. Le diocèse de Calagurris semble plutôt dater de la fin du IVème siècle, mais la première attestation de celui de Pampelune ne date que de 589 (signature des Actes du concile de Tolède). Cela ne veut pas dire cependant que l'évêché n'existait pas auparavant.     

 

 

 

[1] Laurent mourut en 258. Il était originaire de Huesca, une ville bascophone alors. Vincent était basque par sa mère et fut supplicié à Valence. La jeune Engracia (Ste-Engrace) est aussi très populaire au Pays Basque. 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article